On ne savait pas

Il a plu toute la nuit ou presque. La chaussée est encore humide. Certaines routes ne sont que flaques, boues et terres collantes. À certains endroits, ce n’est même pas la peine d’essayer d’y passer, sous peine de rester échoué dans le fossé. Les voitures slaloment entre les trous. À chaque instant, l’accrochage n’est pas loin. Les piétons ne savent plus ou se mettre. Les égouts débordent et pas que d’eau de pluie. Les chauffeurs sont sur les dents. La recette ne sera pas au rendez-vous de la journée, trop d’embouteillages. Les klaxonnes retentissent. L’attention n’est plus d’actualité. Les injures ont remplacé les c’est à vous de passer.

Un choc retentit; des cris fusent. Une femme à terre. Elle gesticule puis demeure les membres à l’envers. Le temps de s’arrêter et de comprendre; un piéton, un woro-woro toujours aussi pressé que d’habitude, naturellement inattentif, un motard en tong et sans casque, chacun ayant décidé, coûte que coûte, qu’il avait la priorité, une femme à terre, une moto démontée, une voiture déjà cabossée dont on ne perçoit pas le nouveau choc, tellement elle en possède, et le pare-brise qui sortit de son emplacement, semble bizarrement plié sur lui-même.

Abidjan, un matin comme les autres. La foule s’agglutine. Certains pour voir, d’autres pour aider. Les téléphones s’activent en mode appel et photo souvenir. La tête de la femme étrangement tournée sur le côté ne bouge plus. Sa poitrine se soulève en secousses. Elle est en vie.

Les sirènes se rapprochent sans pouvoir s’approcher suffisamment. Le temps ennemi s’écoule. Les pompiers arrivent. Un regard, un brancard, le temps qu’il faut pour le dire, elle est dans l’ambulance, direction l’hôpital le plus proche.

Elle et ils n’avaient pas d’assurance.

La famille ne trouvera pas les 550.000F CFA nécessaires pour les premiers soins. Elle mourra dans la journée.

5.900F CFA de cotisés chaque mois, auprès d’une mutuelle dont c’est le métier et la vocation, auraient suffi à entreprendre les soins, l’opérer, surveiller son réveil et la ramener à la maison pour une convalescence en famille.

Trois enfants qui ne comprennent rien à ce qui se passe, vont déménager et être accueillis par des tantes en pleurs.

Prenez bien soin de vous

jean mismeCommentaire