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La Firefly

La Firefly

Ce sont des nouveaux venus dans l’automobile. Parmi les plus emblématiques, Google et sa filiale dédiée Waymo ont commencé dès 2010 à avaler les kilomètres avec leur premier prototype aux formes rebondies, la Firefly. Le fabricant américain de cartes graphiques pour jeux vidéo Nvidia s’affaire, de son côté, à créer le "cerveau" du véhicule, à l’image de son concurrent israélien Mobileye. Sans oublier les acteurs chinois du numérique, comme Baidu et Tencent, qui ont aussi jeté leur dévolu sur les véhicules de demain, peut-être un jour sans conducteur. Une concurrence d’un nouveau genre qui rebat les cartes pour les constructeurs traditionnels.

L’avalanche d’annonces et de concept cars en tout genre apparaît dès lors comme une stratégie pour continuer d’exister, au moins médiatiquement, face à une concurrence inédite. Car "c’est presque la raison d’être des constructeurs qui commence à se poser", ose, un brin provocateur, un professionnel du secteur.


Qui dit développement du véhicule autonome, dit croissance des besoins en capacité de calcul, pour traiter les données nécessaires au bon fonctionnement des systèmes. Conséquence : à elle seule, la valeur du logiciel dans un véhicule devrait passer de 15 à 30% aujourd’hui à 50% d’ici à 2020 prévoit Renault. Un créneau sur lequel Nvidia et Intel, qui a absorbé Mobileye en 2017, apparaissent comme de sérieux candidats.

"L’intelligence artificielle embarquée requiert des puissances de calcul très importantes, réservées autrefois à des cartes graphiques telles que celles proposées par Nvidia, détaille Olivier Hanoulle, analyste chez Roland Berger. Naturellement, ces acteurs essayent de proposer aux constructeurs des systèmes capables de fournir la puissance de calcul appropriée." Avec un intérêt évident, puisque l’automobile devrait constituer "un débouché majeur à ces offres".

 

Les as du logiciel convoités

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Mais les nouveaux entrants ne sont pas les seuls susceptibles de profiter de cette évolution. Les équipementiers aussi. "Des acteurs comme Bosch, Valeo, NXP et Continental fournissent des capteurs, ainsi que des modules d’intelligence complets avec des algorithmes de décision", met en avant Marc Mechaï, le responsable automobile chez Accenture. Les gros fournisseurs ont su développer au fil des années leur expertise, en se positionnant notamment sur les premières aides à la conduite (Adas). De quoi jouir d’une position de force dans leur rapport avec les constructeurs. Quitte à inverser les rôles ? " Aucun équipementier ne fournit actuellement l’ensemble des Adas, tempère Olivier Hanoulle. Pour les constructeurs, la segmentation des besoins entre différents acteurs et la maîtrise des intégrations globales apparaissent comme des enjeux centraux pour conserver la valeur ajoutée dans le véhicule."

D’autant que des vents contraires soufflent. Avec l’électrification des véhicules, les constructeurs voient filer un élément de différenciation et de valeur ajoutée – le moteur thermique –, dont ils avaient jusqu’à présent le contrôle. Et qui à lui seul peut représenter jusqu’à un quart de la valeur dans la voiture, calcule le cabinet Roland Berger. Ce qui n’est pas le cas du moteur électrique, plus simple, et dont les précieuses cellules des batteries sont sous-traitées à des spécialistes, pour la plupart asiatiques… Dans ce contexte, les constructeurs partent en campagne pour dénicher des as du logiciel. Renault a profité du départ d’Intel des sites français de Toulouse (Haute-Garonne) et Sophia-Antipolis (Alpes-Maritimes) pour se doter, en 2017, d’une force de frappe de 400 experts dans des activités comme la mise à jour à distance et l’architecture électronique du véhicule.

Mais c’est sans compter sur un autre front dans la bataille ouverte par le véhicule autonome et connecté. Sous l’effet notamment de ces nouvelles solutions, les usages devraient être bouleversés. "Le modèle actuel repose sur la notion du véhicule propriétaire. Demain, les utilisateurs seront disposés à payer pour des services de mobilité leur permettant de rallier un point A à un point B", anticipe ainsi Olivier Hanoulle. Un mouvement qui reste, pour l’heure, confidentiel. En 2016, 30% des Français ont eu recours au moins une fois au covoiturage et 10% à des VTC, selon une enquête de l’Observatoire société et consommation. Mais beaucoup y voient une vraie tendance de fond. Chez Google, cette évolution pourrait d’ailleurs être un moyen de transposer dans la vie réelle son modèle publicitaire éprouvé sur internet. "Pourquoi ne pas imaginer que des acteurs comme Google proposent des déplacements gratuits, dont le coût serait pris en charge par les professionnels destinataires – restaurateurs, cinémas ou centre commerciaux", illustre Sébastien Amichi, le directeur exécutif d’Accenture Strategy. La filiale Waymo a de fait vite abandonné sa Firefly construite en interne, au profit de véhicules fournis par des constructeurs…

 

Le virage de la mobilité

Pour maintenir leur position sur la chaîne de valeur automobile, ces derniers commencent de leur côté à bâtir des véhicules destinés au partage, à l’image de la navette Sedric de Volkswagen. Mais surtout, les constructeurs entreprennent une profonde mutation pour le long terme. "On assiste à une reconfiguration de la chaîne de valeur, souligne Guillaume Crunelle, le responsable de l’automobile chez Deloitte. Pour rester des acteurs centraux, les constructeurs vont se transformer en gestionnaires de données et opérateurs de mobilité." L’allemand Daimler, propriétaire de la marque Mercedes, a fait main basse sur des entreprises de VTC comme Chauffeur Privé en France, et a investi dans Taxify en Estonie. Même démarche chez Toyota. Le japonais a injecté le record de 1 milliard de dollars (858 millions d’euros) dans la plate-forme malaisienne Grab, qui centralise des services des VTC, de livraisons de produits alimentaires ou de colis. Des alliances et des rachats qui permettent aux constructeurs de maîtriser en accéléré les besoins de ces nouveaux types d’activité.

Ce basculement suppose "une transformation de la culture et des modèles économiques, ainsi que des investissements énormes", signale Guillaume Crunelle. Des efforts que tous les acteurs ne seront pas capables de réaliser, préviennent les observateurs de l’industrie. "Le monde automobile va se redessiner dans les décennies à venir, estime le responsable de Deloitte. Les gagnants d’aujourd’hui ne seront pas forcément ceux de demain. Il n’est pas impossible que certains disparaissent, par exemple dans le cadre d’acquisitions." À défaut de prendre le virage de la mobilité, les constructeurs pourraient trouver leur salut en se concentrant pleinement sur leur métier historique. "La production de véhicules fiables et de qualité n’est pas donnée à tout le monde", veut croire Guillaume Crunelle. Pour lui, certains fabricants pourraient tirer leur épingle du jeu en construisant des véhicules en marque blanche à destination des acteurs de la mobilité. Dans la bataille ouverte par le véhicule autonome et connecté, chacun fourbit ses armes.


Le casse-tête des assureurs

Jusqu’à présent, l’équation était assez simple. "Le code des assurances stipule que c’est au conducteur, au propriétaire du véhicule ou à celui qui en a la garde que s’applique l’obligation d’assurance", précise Stéphane Penet, à la Fédération française de l’assurance. Une règle battue en brèche par le véhicule autonome. Dès l’arrivée sur les routes du niveau 3, où les tâches sont encore partagées entre conducteur et machine, il faudra être capable de déterminer qui des deux était au volant, et de fait sera responsable en cas de sinistre. Pour lever cet obstacle, les assureurs appellent de leurs vœux l’installation de boîtes noires dans les véhicules. Mais au-delà, le secteur doit se préparer à un changement de modèle. "Demain, ce sont sans doute les opérateurs des voitures autonomes, constructeurs ou fournisseurs de mobilité, qui devront être assurés", éclaire Denis Bicheron, spécialiste auto pour le courtier Gras Savoye. Pour autant, les assureurs ne sont pas à l’abri que le constructeur se retourne contre l’équipementier ayant fourni l’un des systèmes responsables du sinistre… Une dilution de la responsabilité, couplée à des nouveaux besoins (notamment en cybersécurité) et des factures en hausse du fait du coût des technologies autonomes, qui risquent de générer quelques maux de tête aux professionnels de l’assurance.


Kevin N'diaye